Voir quatre collègues honorés aux États-Unis, dans ce pays où le trumpisme malmène aujourd’hui les médias, fut une image à la fois tragique et porteuse d’espoir.
Des souvenirs me reviennent, douloureux, mais empreints d’admiration. Je revois Agnès Ndirubusa, brillante journaliste politique, épuisée par l’anémie, s’étiolant lentement dans l’austère prison de Bubanza. Elle, Christine Kamikazi, Térence Mpozenzi et Egide Harerimana y ont passé près de deux ans, accusés d’une vague « atteinte à la sûreté de l’État ». Une accusation fourre-tout, trop souvent utilisée pour museler les voix libres.
Puis j’ai revu Agnès en exil. À peine arrivée en Belgique, elle perd tragiquement son compagnon. Le plus jeune du groupe, Egide, ne sortira pas indemne de cette épreuve carcérale : aujourd’hui réfugié dans un pays nordique, il se bat contre une grave maladie. Christine a rejoint la Radio Bonesha, jugée moins exposée qu’Iwacu — une décision compréhensible. Quant à Térence, il a quitté le journalisme. Qui pourrait le lui reprocher ?
Depuis 2015, le journalisme burundais traverse un calvaire. Et pourtant, il refuse de mourir. Ce chemin de croix est parsemé de noms devenus tragiques : Jean Bigirimana, disparu depuis 2016 ; Floriane Irangabiye, emprisonnée, aujourd’hui libre mais contrainte au silence ; Sandra Muhoza, qui risque dix ans de prison pour un simple message WhatsApp. Et tant d’autres drames enfouis dans le silence. Qui se souvient que Kenny Claude, ayant purgé sa peine, reste incarcéré sans raison ?
Qu’avons-nous donc fait pour mériter pareil sort ? Jean Bigirimana, où es-tu ?
Edouard Madirisha, Elyse Ngabire, Edouard Nkurunziza… toutes ces plumes brillantes, contraintes à l’exil. Pourrons-nous encore entendre la voix de Floriane Irangabiye sur la radio en ligne Igicaniro ? Comme beaucoup d’anciens détenus, elle tente aujourd’hui de survivre, se fond dans l’ombre, évitant d’attirer l’attention. A sa sortie, Sandra Muhoza, reprendra-t-elle le micro ?
D’autres voix, autrefois engagées et courageuses, se taisent peu à peu, préférant « communiquer » plutôt qu’informer. À force de composer avec la peur, elles deviennent inaudibles. Même Yaga, ce média dynamique et très populaire, est aujourd’hui « en pause » forcée. Le message des autorités est limpide...
Comme l’écrit si justement mon collègue Abbas Mbazumutima, il est tragique que le dénominateur commun des quatre femmes burundaises honorées par le College of Media and Communication de l’Université Texas Tech soit leur passage par la prison. N’avons-nous donc rien d’autre à offrir au monde ?
Un membre du jury américain a souligné ce triste constat : voir autant de femmes journalistes incarcérées dans un même pays est un sombre record africain. D’abord Agnès et Christine, puis Floriane, enfin Sandra.
Lors de la cérémonie aux États-Unis, une distinction particulière a été remise à Alexandre Niyungeko, président de l’Union burundaise des journalistes, aujourd’hui interdite mais toujours vivante à travers ses membres en exil. C’est à lui que furent remis, symboliquement, les prix destinés aux journalistes absentes.
Agnès Ndirubusa, ancienne cheffe du service politique d’Iwacu, a tenu à dédier ce prix à tous les journalistes burundais restés au front :
« Ce prix n’est pas seulement le nôtre. Il appartient à tous les journalistes burundais, en particulier ceux d’Iwacu. »
Malgré l’exil, elle reste fidèle à cette famille professionnelle : « Je reste des vôtres, malgré la distance. Ensemble, nous avons traversé des épreuves terribles : la disparition de mon ami Jean Bigirimana, notre détention injuste… Je sais les pressions immenses que vous subissez encore aujourd’hui. Sachez que vous n’êtes pas seuls. Vous êtes des porte-flambeaux. Le monde entier est témoin de votre courage et respecte votre combat pour la liberté de la presse. Je suis fière d’avoir fait partie de vous. »
Oui, chère Agnès, tu as été, tu es, et tu resteras toujours des nôtres. Vis maintenant pleinement. La survie de notre métier est aussi la tienne.
Ne restons pas indifférents. Soutenir ces voix, c’est défendre la liberté de tous. Soyons des relais, partageons, faisons savoir.. .