Dimanche, 16 mars 2025, l’Arena Kigali. Face à une foule de jeunes survoltés, le Président Kagame est un homme en colère. Une colère maîtrisée, dirigée principalement vers l’ancienne puissance coloniale : la Belgique.
Le Président Kagame a rappelé ses (nombreux) griefs et a accusé la Belgique d’avoir pris « clairement parti contre le Rwanda dans le conflit en cours en République démocratique du Congo (RDC), la reprochant d’utiliser des mensonges et des manipulations pour obtenir une opinion hostile injustifiée envers le Rwanda, tentant ainsi de déstabiliser le pays et la région ».
Plusieurs observateurs soulignent en effet que la Belgique a joué un rôle clé dans la promotion des sanctions prises par l’Union européenne.
La semaine qui s’annonce est cruciale. Mercredi 19 mars, Luanda doit accueillir les émissaires de Kinshasa et ceux du M23 pour un dialogue « direct » sur la crise en RDC.
Pour Kinshasa, apparemment « la ligne rouge », un dialogue direct avec le M23, n’est plus d’actualité. Une délégation sera présente à Luanda. L’information a été confirmée par la présidence congolaise.
Sauf que le lundi 17 mars, les noms des personnes visées par les sanctions, dont des cadres importants du M23 sont rendus publics par l’UE. On pourrait se poser des questions sur le calendrier de sortie de cette liste, à la veille de la rencontre de Luanda. Certains y ont vu une simple « maladresse diplomatique ». C’est possible. Sauf qu’elle aura des conséquences sur la suite.
Je contacte Bertrand Bisimwa, le président de la branche politique du M23 pour avoir sa réaction. Il est parmi les personnalités sanctionnées. M. Bisimwa est furieux. Il fustige l’interférence négative des sanctions européennes sur le processus de paix. « Ces sanctions doivent être retirées pour libérer le processus de paix de toute influence extérieure ».
Dans la foulée, le mouvement annule son déplacement vers Luanda. Toujours ce lundi, le Rwanda annonce officiellement la rupture de ses relations diplomatiques avec la Belgique.
Alors que la machine semble se gripper, le mardi, 18 mars, à la surprise générale, les Présidents rwandais et congolais se rencontrent à Doha, sous l’égide de l’Émir du Qatar. De Luanda, les yeux se tournent vers Doha. Les deux hommes vont se parler pendant 45 minutes.
Le communiqué final de Doha est ce qu’il y a de plus « diplomatique ». Les présidents Félix Tshisekedi (RDC) et Paul Kagame (Rwanda) vont réaffirmer leur engagement commun à un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel dans l’est de la République démocratique du Congo.
Ils vont également convenir de poursuivre le dialogue initié à Doha, dans le but de construire « les fondements nécessaires à une paix durable. » Ils saluent les progrès déjà accomplis grâce aux processus de paix précédents, notamment ceux de Luanda, Nairobi, ainsi que le sommet tenu à Dar es-Salaam le 8 février 2025.
La médiation qatarie dispose en effet de quelques atouts pour réussir cette médiation. Elle est acceptée par les deux parties, elle est aussi redoutablement efficace à juger par la manière dont elle a pu faire asseoir deux personnalités qui s’étaient traitées de tous les noms. Ce n’était pas gagné d’avance.
Bref, Doha « enterre » Luanda ? C’est la question que j’ai posée au ministre rwandais des Affaires étrangères. Non, m’a répondu l’Ambassadeur Olivier Nduhungirehe : « Ce n’est pas un processus parallèle, un processus nouveau. Il vient plutôt soutenir le processus de l’EAC et de la SADC, Doha vient appuyer les processus existants ».
Le chercheur Thierry Vircoulon (IFRI) est plus réservé. Pour lui, « les médiations ne se remplacent pas, elles s’accumulent. Pas sûr que la rencontré de Doha fasse avancer les choses », dit-il.
Le Burundi, un acteur discret
Acteur silencieux, mais présent, le Burundi, soutien de Kinshasa, est peu évoqué dans les dynamiques en cours dans la région. Quelle est sa place aujourd’hui dans ce processus, surtout après cette rencontre de Doha ?
Un élément important : la « communication » a été établie entre les autorités burundaises et rwandaises. Sans aller jusqu’au « rapprochement », tous ceux qui suivent ce dossier savent qu’il y a quelques semaines, il y a eu un dialogue (ou négociation, appelez-le comme vous voulez), entre le Rwanda et le Burundi.
« Cela aurait d’ailleurs poussé Kinshasa à s’ouvrir de plus en plus au dialogue d’autant plus qu’il se sentait “lâché” par un allié important », m’a confié une source burundaise bien informée dans les cercles du pouvoir.
D’après toujours ma source, « le Burundi ne pouvait pas rester les bras croisés face aux développements à l’est de la RDC d’autant plus que sa présence en RDC permettait de répondre à certains enjeux d’ordre sécuritaires et dans une certaine mesure, financiers. » La présence des soldats burundais en RDC, ce n’était pas du « bénévolat », m’a encore dit ma source.
Cela dit, cette discrétion sur la présence de l’armée burundaise en RDC est une « tradition », comme l’explique un politologue burundais que j’ai interrogé.
Le professeur Pascal Niyonizigiye me dit : « Depuis Pierre Buyoya, les Burundais ne disaient jamais qu’ils étaient sur le territoire congolais. Hier comme aujourd’hui, ce qui les intéressait, c’étaient de poursuivre les rebelles qui gênaient le pouvoir de Bujumbura, aujourd’hui de Gitega ».
D’après lui, le pouvoir burundais a fait « un tour de force. » « Quand il a compris que le danger se rapprochait des frontières burundaises, que le M23 pouvait occuper tout le Kivu, les autorités burundaises ont parlé avec Kigali pour expliquer que « Gitega avait besoin de se protéger contre les éléments qui veulent déstabiliser son pays à l’approche des élections. Une raison qui se défend ».
Le Burundi aurait convenu avec le Rwanda (le conditionnel reste de mise) d’adopter une sorte de « neutralité ». Il garde ses positions dans l’est. L’AFC/M23 de son côté va éviter une attaque « frontale » dans ses descentes vers le sud Kivu et contourner Uvira, une ville vitale pour le Burundi.
D’après l’universitaire, « le Burundi avait donc ses raisons de soutenir la RDC ». Pascal Niyonizigiye rappelle d’ailleurs que ce n’est pas la première fois. Pour rappel, le Burundi a appuyé Mobutu quand il avait des problèmes avec les sécessionnistes du Katanga. Tout comme Mobutu a envoyé ses militaires à la rescousse du régime de Micombero attaqué par les mulélistes.
Pour la petite histoire, l’intervention a été un fiasco. Les militaires zaïrois se sont tellement mal comportés sur le terrain que le Président Micombero a vite demandé leur rapatriement.
Sur la question congolaise, le politologue Niyonizigiye estime que si le Burundi joue très bien sur le plan diplomatique, il pourrait trouver un « modus vivendi » avec le Rwanda.
Quant à l’opération elle-même en RDC, « circulez, rien à voir », semble être la ligne officielle. Ce silence s’expliquerait par les défaites militaires subies par l’armée burundaise. L’armée aurait perdu beaucoup d’hommes et une partie de son armement dans cette opération. Mais qui demande des comptes au gouvernement ? L’opposition burundaise ?
Comme on le sait, l’opposition est très faible. Mais elle a toujours critiqué « le manque de transparence du gouvernement concernant ces interventions militaires et s’est interrogé sur leur légitimité ainsi que sur les implications pour la sécurité nationale ».
Elle a appelé les autorités à informer la population sur les objectifs de ces opérations et à justifier l’engagement des forces armées burundaises en territoire congolais. En vain.
Chauvineau Mugwengezo, une des voix de l’opposition, il est le porte-parole de la CRN-Ingeri ya Rugamba, a une position très claire et tranchée par rapport à la présence des soldats Burundais en RDC.
« La présence de l’armée burundaise en RDC est motivée par deux raisons majeures : poursuivre au Congo un génocide qui s’est commis et qui se commet encore aujourd’hui à petit feu au Burundi. L’accomplir dans la région des Grands Lacs en étroite collaboration avec ses alliés traditionnels, les FDLR par l’extermination des Tutsi du Congo, du Rwanda et du Burundi. »
Son mouvement estime que « cette présence est motivée par la cupidité du pouvoir CNDD-FDD qui a engagé illégalement les troupes burundaises pour des visées d’enrichissement illicite et individuel sur le dos des soldats burundais. » Les accusations sont graves. Sauf que Mugwengezo n’est pas Julius Malema.
Le 10 février dernier, l’opposant sud-africain, Julius Malema, a vivement dénoncé devant l’Assemblée nationale la décision du gouvernement d’engager des troupes dans la Mission de la Communauté de développement de l’Afrique australe en RDC (SAMIDRC).
Julius Malema a mobilisé l’opinion et exigé le retrait immédiat des troupes sud-africaines, affirmant qu’aucune autre vie ne devait être sacrifiée dans ce qu’il a qualifié de « guerre absurde ». On connaît la suite.
Rien de tel au Burundi où le gouvernement a carte blanche, sans une véritable opposition. Le gouvernement s’est même permis d’imposer un black-out médiatique sur la question de la RDC. Il a instruit le CNC, le régulateur de la presse au Burundi, à veiller à ce que les médias burundais ne fourrent pas leur nez dans ce dossier sensible.
Iwacu l’apprendra d’ailleurs à ses dépens. Pour avoir publié un papier dans lequel un analyste évoquait justement « les pertes humaines et matérielles subies en RDC », mais aussi les raisons pécuniaires qui seraient derrière l’engagement burundais, le journal a été sommé de retirer le papier.
Après Doha, l’incertitude plane sur la suite. Christophe Rigaud, notre collègue d’Afrika Arabia, très au fait des développements dans la sous-région, rappelle que la rébellion de l’AFC/M23 s’est toujours déclarée à chaque fois « non concernée » par des mesures décidées par Kinshasa et Kigali en son absence. Pour accréditer cette thèse, mercredi 19 mars, la ville de Walikale est tombée…
Est-ce que l’initiative de Doha va s’inscrire dans la durée ou sera un « one-shot » comme on n’en voit dans tous les processus de négociation ?
Quand je lui ai posé la question sur « la suite », le ministre Nduhungirehe m’a rembarré gentiment : « Il y a un processus, M. Kaburahe. Les scénarios c’est à vous les analystes de les faire ». Soit.
Que retenir de tout cela ? Que les prochaines semaines seront instructives ! Tout le monde est dans l’expectative…
Selon vous, l’initiative de Doha marque-t-elle un tournant décisif vers une paix durable dans la région des Grands Lacs, ou n’est-ce qu’un épisode ponctuel dans la longue série de médiations déjà engagées ?
Merci beaucoup Antoine pour ce papier bien fouillé avec des sources de première main.
Moi je pense que cette rencontre de Doha est très utile car quand les protagonistes se rencontrent, ça peut toujours faciliter le dialogue.
Pour moi, cette rencontre montre que la guerre en RDC entre dans une deuxième phase, cette du réalisme. Avant, Tshisekedi refusait toute negotiation “directe” avec le M23, espérant reprendre le terrain avec l'aide des Burundais et de la SADC. Maintenant, après la prise de Goma et de Bukavu, il a compris qu'aucune force étrangėre ne le sauvera. Le M23 est en position de force, et si Tshisekedi continue de refuser les négociations, d'autres villes tomberont. Lubumbashi notamment serait dans le viseur.
L'autre chose que j'ai compris est que les fameuses “solutions africaines aux problèmes africains”, c'est du pipo. Le Qatar réussit la où l'EAC, la SADC et l'Union africaine ont échoué. Comme dans toute négociation, c'est le pays qui a suffisamment de cartes pour faire pression sur les deux protagonistes qui peut amener chacune des parties à faire les concessions nécessaires pour que la paix soit possible. Ce n'est ni l'Afrique du Sud, dont les relations avec le Rwanda sont exécrables, ni aucun autre pays africain. Ça ne peut pas être les Etats-Unis ou l'Europe, qui ont d'autres chats à fouetter avec l'Ukraine et le Moyen Orient. S'ils m'écoutaient, je les conseillerais donc de laisser tomber les processus de Nairobi et de Louanda et de confier ce problème aux Qatari. Car j'ai l'impression que cette monarchie est intéressée à faire des affaires avec les deux pays, et comme on le sait, la guerre c'est mauvais pour le business. 😊
Merci Tony pour ton article. Je viens de le lire avec intérêt et j’ai deux commentaires:
Premièrement, je regrette que deux Chefs d’Etat doivent se déplacer sur les terres arides et désertes du Moyen-Orient à la recherche de solution à une crise au cœur de l’Afrique Centrale. Où sont passés les blocs régionaux de l’EAC et de la SADC? Qu’est-ce qui explique le silence ou plutôt l' impuissance de l’Union Africaine? Que sont devenus les processus de Luanda et Nairobi? Comment Lourenço et Kenyatta se sont sentis mardi soir en voyant le grand Émir assis au milieu des Numéros Uns Congolais et Rwandais? Bref, où est passée la souveraineté africaine?
Je veux bien que l’Ambassadeur Olivier Nduhungirehe tranquillise qu’il ne s’agit pas d’un processus parallèle, ou encore que le chercheur Vircoulon rappelle que les médiations ne se remplacent pas, mais toujours est-il que le fait que les dirigeants africains se réunissent au Qatar pour négocier un cessez-le-feu dans l'est de la RDC au lieu de s'appuyer sur les mécanismes pilotés par l'UA et d’autres blocs régionaux révèle un échec profond de la diplomatie africaine.
Deuxièmement, qualifier le Burundi d'être ‘un acteur discret et silencieux’ est pour moi un euphémisme troublant. Evariste Ndayishimiye a déployé plus d’une dizaine de bataillons dans les deux Kivu! Avec cette force, le Burundi apporte une contribution active au conflit et son rôle ne saurait être négligé ou minimisé. Plus préoccupant, cette présence des forces burundaises sur le sol congolais suggère que Gitega pourrait jouer un rôle plus ambigu, voire incendiaire à travers l’exportation des dynamiques internes de répression, voire à poursuivre des objectifs liés à un "génocide à petit feu" dans la région des Grands Lacs, en collaboration avec d'autres acteurs tristement célèbres pour leurs atrocités. Bien que ces allégations restent spéculatives et non étayées par des preuves solides, elles reflètent une méfiance envers les intentions de Bujumbura. Incapable de justifier les défaites subies par l’armée burundaise et les lourdes pertes en hommes et en armes, Gitega impose un silence absolu, oubliant que l’ère du numérique ne permet plus de garder secrètement une telle opération hyper sensible et sous les feux des projecteurs des médias du monde entier.
Les jours et semaines à venir nous diront si les multiples initiatives diplomatiques parviendront à faire taire les armes de manière définitive. Mais à mes frères et sœurs africains, retenez que ce n’est ni de l’Orient, ni de l’Occident que viendra la solution à la crise en cours. Le Qatar aujourd’hui, la Belgique et les USA hier poursuivent un agenda bien précis fondé sur les intérêts géostratégiques et économiques nationaux. L’histoire retiendra que l'intrusion du Qatar dans les efforts de médiation a sonné la mort de l'UA - une institution qui était censée être la première responsable en matière de résolution des conflits sur le continent, mais qui a brillé par son absence et est restée largement inefficace face à la crise en RDC. Au-delà du manque de leadership, c’est un nouveau coup porté à la souveraineté africaine.