À écouter le chef de l’État burundais, j’ai parfois l’étrange impression que le président Évariste Ndayishimiye a endossé le rôle des journalistes ou de la société civile.
Il n’est personne, semble-t-il, de mieux placé que lui pour accuser, dénoncer, pointer du doigt les dysfonctionnements de l’appareil d’État.
Le Président parle avec tant de franchise, tant de verve — certains diraient avec un langage « cash » — qu’il nous devance, nous, journalistes, ainsi que les voix critiques bien connues comme Gabriel Rufyiri de l’Olucome ou Faustin Ndikumana de Parcem. Nous sommes presque relégués au second plan par un Président devenu, à la fois, enquêteur et lanceur d’alerte.
Petite parenthèse : avez-vous déjà observé les membres du gouvernement lorsque le chef de l’État les tance en public ? Tous, têtes baissées, concentrés, ils prennent des notes comme des étudiants en pleine session d’examens. Des carnets grands comme la distance Carama — centre-ville à pied sont noircis frénétiquement. Que deviennent ensuite ces notes ? Servent-elles à quelque chose ? J’aimerais bien qu’on me l’explique. Fin de parenthèse.
Revenons à notre sujet. Le Président dénonce, s’indigne, prend le peuple à témoin. Il affirme connaître les réseaux de corruption dans le secteur du carburant. Dans un discours qui fait le « buzz » sur les réseaux sociaux, il a même raconté une histoire pour le moins rocambolesque : lui-même aurait été victime d’escroquerie par des agents de la Sopebu.
« Ils m’ont escroqué. Ils ont pris 4 millions de FBu. Mais j’ai eu le carburant. C’est une preuve suffisante. Je vais porter plainte, je pense que j’aurai gain de cause. »
Les Burundais sont restés stupéfaits. Voilà que leur Président, garant des institutions, victime de corruption, s’exprime publiquement à ce sujet !
Un lecteur d’Iwacu a confié que tout cela relevait d’un dangereux « micro-management ». Ce n’est pas, selon lui, le rôle d’un chef d’État. « Quand je lis que notre Président a envoyé quelqu’un lui chercher mille litres de carburant pour piéger les agents de la Sopebu, je me demande à quoi servent ses services de renseignement. »
Ce lecteur a raison. Les services de renseignement sont capables de traquer des conversations privées sur WhatsApp, arrêter des gens, mais incapables d’identifier les circuits de distribution parallèle de carburant ? L’absurde le dispute à l’inquiétant.
Avec le temps, le discours présidentiel perd en force, en solennité. Il se banalise. Les citoyens, d’abord intrigués, suivent désormais avec lassitude — parfois même avec ironie — les interventions du chef de l’État.
Or, dans notre tradition, la parole est sacrée. Elle est performative. Elle engage. Et elle doit, surtout lorsqu’elle vient d’un chef, être pesée, maîtrisée, rare, et suivie d’actes.
La sagesse burundaise est sévère envers celui qui banalise sa parole. Je m’abstiendrai ici de citer un proverbe bien connu, impliquant la bave et la parole… Mais tous les Burundais comprendront.
Ijambo, la parole, surtout lorsqu’elle vient d’en haut, doit être prononcée avec gravité. Elle ne peut devenir un simple outil de lamentation. Elle doit précéder l’action. Mieux, elle doit être l’action.
Et vous, comment percez-vous la parole publique du chef de l’Etat?
Engageons le débat !
J'ai souvent eu l'impression qu'il est lui-même le chef de l'opposition, au moment même où l'opposition est muselée.
Mais cette franchise qui n'est suivie d'aucune action, aucune réforme, cache en réalité son impuissance face aux differents défis que rencontre le Burundi. Son incapacité à trouver la solution au manque de carburant est plus éloquent que toutes ses paroles.
Le président devrait donc parler moins et agir plus.