Pr. Jean Ndenzako : "la falsification des échanges commerciaux est un vecteur majeur de fuite des capitaux au Burundi. " Eclairage
Alors que le franc burundais poursuit sa chute et que les marchés parallèles de devises prospèrent, l’économiste Jean Ndenzako décrypte les causes profondes de cette instabilité. Dans cet entretien, il met en lumière un phénomène souvent ignoré du grand public : la falsification des échanges commerciaux, qui alimente la fuite des capitaux et affaiblit la politique monétaire du pays. Une analyse lucide et percutante sur les dérives du système économique burundais et les pistes de réforme.
Professeur Ndenzako, vous affirmez que la falsification des échanges commerciaux est un vecteur majeur de fuite des capitaux au Burundi. Concrètement, comment ces pratiques se manifestent-elles dans les exportations et les importations ?
La sous-facturation des exportations permet aux exportateurs de conserver d’importants revenus en devises à l’extérieur, privant ainsi la banque centrale de ressources nécessaires pour soutenir la monnaie nationale. Inversement, la sur-facturation des importations permet aux acteurs économiques de justifier des transferts excessifs de devises sous couvert de commerce légitime. Ces pratiques constituent des vecteurs classiques de fuite des capitaux, affectant particulièrement les économies en développement aux capacités de surveillance limitées.
Vous établissez un lien direct entre ces fuites de capitaux et la dépréciation du franc burundais. Pouvez-vous expliquer de quelle manière ces mécanismes affaiblissent la monnaie nationale ?
L’épuisement des réserves de devises étrangères affaiblit la capacité de la banque centrale à stabiliser le franc burundais, ce qui entraîne une dépréciation du taux de change. En mai 2023, celle-ci a dévalué le taux officiel de 38 % pour répondre aux pressions du marché. Cette tentative d’alignement nominal avec les taux du marché n’a toutefois pas résolu les causes profondes — en particulier la falsification des échanges et la rareté de l’accès aux devises officielles.
Face à la contraction de l’offre officielle en devises, la demande s’est rapidement déplacée vers les circuits informels, où les taux reflètent davantage la rareté et le risque. Cette divergence entre le taux officiel et le taux parallèle — dont la prime dépasse les 55 % — a engendré un système de double tarification qui intensifie encore les pratiques de falsification et d’arbitrage.
Quid de l'émergence des marchés parallèles de devises. Quelles sont les causes profondes de leur développement, et en quoi constituent-ils un danger pour l’économie burundaise ?
Les marchés parallèles de devises se sont imposés comme un canal majeur pour les transactions en devises, notamment pour les acteurs exclus du système officiel à cause de restrictions administratives ou d’un accès limité aux institutions. Ces marchés traduisent non seulement l’échec de la politique monétaire, mais aussi un déséquilibre budgétaire et une faible transparence réglementaire. Ils alimentent l’inefficacité économique en encourageant la recherche de rente et en réduisant la lisibilité des flux commerciaux.
La présence de ces marchés complique également les mécanismes de transmission de la politique monétaire. L’incertitude liée au taux de change freine les investissements à long terme et limite l’efficacité des instruments de régulation, les entreprises s’appuyant de plus en plus sur des références informelles pour évaluer leurs coûts et planifier leurs opérations.
Quelles leçons peut-on tirer d’autres pays, comme l’Éthiopie ou le Nigéria, qui ont tenté d’unifier leur taux de change pour lutter contre ces déséquilibres ?
Remédier à la fragmentation du marché des devises au Burundi requiert des réformes structurelles orientées vers une plus grande transparence des échanges commerciaux et une amélioration de l’allocation des devises. L’unification du taux de change, stratégie déjà tentée par l’Éthiopie ou le Nigéria, implique une libéralisation de l’accès aux devises et la suppression de contrôles distorsifs. Toutefois, ces mesures doivent s’accompagner de renforcements institutionnels, de dispositifs anti-blanchiment et d’une discipline budgétaire accrue.
Enfin, quelles seraient selon vous les réformes les plus urgentes à mettre en œuvre pour enrayer la falsification des échanges et stabiliser le système monétaire du Burundi ?
La volonté de la banque centrale de donner plus de flexibilité au taux de change offre une voie possible vers la stabilisation, mais elle ne sera efficace que si elle s’inscrit dans une réforme globale de la vérification des échanges, du contrôle douanier et de la cohérence macroéconomique. À défaut d’un engagement résolu, la falsification commerciale continuera de miner les perspectives de développement du Burundi et d’entraver son intégration dans les systèmes financiers internationaux.