Gervais Ndirakobuca, général de police et Premier ministre du Burundi depuis le 7 septembre 2022, considéré comme l’un des hommes forts du « système », a été mis à la retraite anticipée le 9 mai 2025. C’est hier le 19 mai 2025 que le décret présidentiel a été porté à la connaissance du public. Il est devenu viral en quelques minutes, chacun y allant de son interprétation.
L’analyse politique est une science inexacte, particulièrement au Burundi. Je ne prétends donc pas apporter toutes les réponses aux interrogations — légitimes — des Burundais concernant cette « retraite anticipée » qui fait couler tant d’encre et de salive. Toutefois, sur la base de sources proches des hautes sphères du pouvoir et en confrontant leurs confidences aux textes légaux, il est possible d’avancer quelques hypothèses probables, ou du moins crédibles.
Tout d’abord, les relations entre le Président et le Premier ministre s’étaient sensiblement détériorées depuis quelque temps. Gervais Ndirakobuca semblait s’être mis en retrait sur certaines questions brûlantes de l’heure. Rappelez-vous sa réponse laconique lorsqu’il avait été interrogé sur la crise du carburant, comme s’il ne souhaitait pas se « mouiller ».
Devant un Parlement interloqué, il avait lâché : « En tant que Premier ministre, je n’ai aucune solution à vous soumettre ici. »
Un aveu d’impuissance qui, sous d’autres cieux, vaudrait une démission immédiate. Soit.
Entré en fonction sur les chapeaux de roue, mordant, il est progressivement devenu plus discret et moins incisif.
Et pourtant, stratège, « Neva » n’a pas limogé son Premier ministre. Sans doute n’en voyait-il pas l’utilité. Certaines sources pensent que le Président n’a pas « osé » limoger Ndirakobuca afin de ne pas se mettre à dos « les généraux de la plaine ». Une crainte relativisée par d’autres : « Ces généraux sont divisés et relativement affaiblis aujourd’hui. Ce camp n’est pas en odeur de sainteté auprès du Président. Il n’a pas oublié qu’en 2020, ils avaient misé sur Pascal Nyabenda, qu’ils n’ont pas réussi à imposer. »
Mais traditionnellement, tirant les leçons des élections ou pour être en phase avec les résultats du scrutin, les chefs d’Etat mettent en place un nouveau gouvernement. Le Président Ndayishimiye ne va pas surement déroger à la règle et Gervais Ndirakobuca va probablement partir.
Mes sources indiquent que le Premier ministre sortant, “conscient de sa fragilité”, se serait rapproché du Président, qui lui aurait — le conditionnel reste de mise — promis une sortie honorable. Il lui aurait ainsi été proposé “une retraite anticipée”, condition pour être éligible à un poste prestigieux. Mes sources évoquent une candidature à la présidence du Sénat, un poste très honorable et peu susceptible de faire de l’ombre au Président.
Que disent les textes légaux ?
Gervais Ndirakobuca pourrait-il être élu à la présidence du Sénat ? Sur les réseaux sociaux, on entend tout et son contraire. Le plus simple est de se référer à la Constitution et à la loi électorale. Contacté, le professeur Aimé Parfait Niyonkuru répond avec la concision propre aux juristes :
— Question : Gervais Ndirakobuca peut-il être élu à la tête du Sénat ?
— Réponse :C'est un poste incompatible avec, entre autres, le statut de membre des forces de Défense et de Sécurité. Pour être sénateur, il faut être élu par le collège électoral des membres des conseils communaux (sauf pour les Twa, qui peuvent être cooptés dans les conditions prévues par la loi).
L’expert, citant la loi électorale, explique que « pour pouvoir se porter candidat à ces élections, il faut être un civil. Les membres des corps de défense et de sécurité ne sont pas autorisés. » Gervais Ndirakobuca ayant été mis à la retraite anticipée, remplit donc cette condition.
Aimé Parfait Niyonkuru attire l’attention sur la date de signature du décret de mise à la retraite : le 9 mai 2025. Jusque hier le 19 mai 2025, il était dans les délais pour déposer sa candidature. C’est hier le 19 mai 2025 que sa mise à la retraite a été annoncée publiquement. Une coïncidence ? C’est possible.
Quant à une éventuelle dépôt de candidature, j’ai posé la question au Président de la CENI. Au moment de la mise en ligne de cet article, je n’ai pas encore de réponse. La publication de la liste définitive des candidats sénateurs est attendue au plus tard le 7 juin 2025. « En principe, il est dans les clous », conclut le professeur Niyonkuru. Si bien entendu il a déposé dans les délais sa candidature. On le saura assez vite.
Pour faire simple. Le futur ex-Premier ministre est-il éligible au Sénat? La réponse est à priori : oui.
Au Sénat, il jouirait de la tranquillité qu’il semble rechercher depuis quelque temps. Ailleurs sur le continent, d’autres présidents ont “acheté la paix” en recourant à ce poste souvent perçu comme une « voie de garage » politique. Il s'agit d’un honneur réservé à d’anciens dignitaires : ex-ministres, Premiers ministres sortants ou généraux à la retraite. C’est aussi, pour certains régimes, une récompense politique ou une forme de retraite dorée, permettant à une personnalité influente de quitter l’arène politique sans humiliation.
Ce positionnement sert également de stratégie de neutralisation douce. En proposant un poste prestigieux mais à faible enjeu stratégique, le pouvoir peut éloigner un allié devenu encombrant ou menaçant, sans provoquer de rupture ouverte. Nous continuons à suivre les développements de cette actualité.
Question: Le système politique burundais permet-il une véritable alternance ou recycle-t-il les mêmes figures sous d'autres fonctions ? Le débat est ouvert.