Rendez-nous "Papa bonheur"
"Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche... Ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir." Aimé Césaire
Au lycée du Lac Tanganyika, ses élèves l’appelaient tendrement « Papa Bonheur ».
Emmanuel Mfitiye, professeur de français, était aimé de tous. Jovial, généreux, sans histoires. Un homme bon.
Depuis sa retraite, il menait une vie paisible à Gitega, sa ville natale. Jusqu’à ce jour de mars 2025.
Le 24 mars, en plein jour, à 11 heures, en plein centre-ville, Emmanuel a été embarqué de force dans une camionnette.
Des témoins ont vu. Mais depuis, plus rien.
On ne peut pas dire qu’il a été « arrêté ».
Non. Le mot juste, c’est kidnappé.
Depuis ce jour, plus personne n’a revu Papa Bonheur.
Sa famille a cherché partout. À travers tout le Burundi. Prisons officielles, cachots connus ou non.
Aucune trace. Aucun indice. Aucun mot.
Aujourd’hui, je ne parle pas en tant que journaliste.
Je parle comme citoyen. Comme natif de Gitega.
Je parle pour un ami d’enfance.
Pour un père de deux enfants, comme moi.
Je plaide pour Emmanuel Mfitiye, et à travers lui, pour tous les « Papa Bonheur » disparus dans l’ombre. Il est temps que nos voix s’élèvent pour ceux qu’on veut faire taire.
Peut-être Emmanuel a-t-il commis une erreur ?
C’est possible. Alors qu’on lui donne la chance de se défendre. Un procès équitable. Public.
C’est tout ce que je demande. Tout ce que nous demandons.
Monsieur le Président,
Aujourd’hui, je vous appelle pour la première fois « Papa Burundi », en tant que père, en tant qu’homme.
Instruisez vos services. Retrouvons Papa Bonheur.
Un citoyen ne disparaît pas ainsi, au cœur de votre capitale politique.
Sinon, quel message envoyons-nous aux autres Burundais ?
Quel message envoyons-nous au monde ?
Je lance aussi un appel :
À la CNIDH : quittez votre salon. Allez chercher Emmanuel Mfitiye.
Aux députés de Gitega : cet homme est l’un de vos citoyens. Demandez des comptes. Où est votre frère ?
Et puis, il y a l’urgence médicale.
Papa Bonheur est diabétique.
Papa Bonheur est hypertendu.
Sans soins, il risque le coma. Son cœur peut lâcher.
Je supplie ceux qui le détiennent :
Ne laissez pas cet homme mourir seul dans le silence.
Par pitié, rendez-nous Papa Bonheur.
Pour sa famille. Pour ses enfants.
Pour Gitega. Pour le Burundi.
Et si demain, c’était un des vôtres ? Un proche qu’on arrache à la lumière ?
Allons-nous continuer à nous taire, ou bâtir, ensemble, un pays où plus personne ne disparaît dans l’ombre ? Votre avis compte.
Et juste au moment où l'on pense qu'il y a un semblant de paix et de stabilité, on entend ou lit un article sur un enlèvement qui a eu lieu en plein jour dans une rue urbaine, au vu et au su de la population. Ce qui est étrange, c'est que pour certains d'entre nous qui vivent à l'étranger, la police ne semble pas s'en préoccuper, aucune annonce d'un crime potentiel ou d'une enquête quelconque ... c'est comme si rien ne s'était passé en dehors des appels des membres de la famille proche et des amis de la victime, d'un bavardage nerveux des quelques citoyens concernés pendant quelques jours ... et de passer à autre chose jusqu'à ce que cela se reproduise quelque part ailleurs dans le pays. Devrait-on considérer cela comme le nouvel état normal dans le pays autrefois connu comme « le pays du lait et du miel » ?
Continuez à alerter l’opinion et surtout saisissez les responsables en charge de la marche du pays et plus particulièrement les représentants du peuple. Ceux- ci devraient être les premiers à venir en aide aux citoyens qu’ils sont supposés représenter et assister dans l’infortune !
Courage, courage!