Au lendemain d'élections des députés et conseillers communaux marquées par une certaine indifférence et par l'absence de débat sur des questions cruciales comme la crise économique ou encore l'engagement militaire dans l'est de la RDC, l'opposition semble se résigner à un choix apparemment pragmatique qui signe en réalité une faillite de son rôle de contre-pouvoir.
Les Burundais, en privé, se disent soulagés de la fin des élections pour, racontent-ils, revenir "mu buzima busanzwe", ce qui signifie pour la majorité le retour à la "galère" quotidienne. Sans illusion, les élections constituent une parenthèse qu'ils veulent voir vite fermée.
Si globalement les élections se sont déroulées sans heurts notables, tout observateur objectif ne peut manquer de souligner une certaine indifférence face à un scrutin qui n'a connu aucun véritable débat sur les enjeux en cours au Burundi. Parmi les questions mises sous le boisseau figure notamment l'engagement militaire du Burundi en République démocratique du Congo (RDC).
Quelques interlocuteurs qui ont accepté de s'exprimer, tous sous anonymat, reconnaissent les conséquences multiformes – sécuritaires et économiques – de la présence des troupes militaires dans l'est de la RDC.
Concernant l'envoi même des troupes burundaises, les textes légaux sont sans équivoque. Un constitutionnaliste burundais interrogé explique que le président du Burundi détient effectivement le pouvoir de mobiliser l'armée ("kugomora ingabo") dans le cadre du "rétablissement de l'ordre et de la sécurité publique et dans l'accomplissement des obligations et engagements internationaux" (article 255).
Lorsque la force de défense nationale est utilisée dans l'un de ces cas, précise le spécialiste, le président doit informer promptement le Parlement de façon détaillée sur les raisons de l'emploi de la force de défense nationale, tout endroit où cette force est déployée et la période pour laquelle cette force est déployée (article 256). La Constitution burundaise prévoit d'ailleurs tous les cas de figure en précisant que "si le Parlement n'est pas en session, le président de la République le convoque en session extraordinaire dans les sept jours suivant l'usage de la force de défense nationale" (article 257).
En résumé, sur le plan des principes, le chef de l'État burundais n'a pas besoin de l'aval du Parlement pour "kugomora ingabo" – lui seul en détient la prérogative. Seulement, et c'est là que réside le problème, après avoir autorisé l'usage de la force armée, il doit informer le Parlement dans un délai maximum d'une semaine.
Les parlementaires de l'opposition et quelques voix libres de la majorité, toujours sous anonymat, reconnaissent que le Parlement a été presque totalement ignoré et n'a pas pu jouer son rôle de contrôle, ayant été tenu à l'écart de décisions aussi stratégiques.
"Le président de l'Assemblée nationale, au cours d'une session, nous a lu une courte lettre du chef de l'État nous informant que les troupes burundaises avaient été déployées dans l'est de la RDC. 'Ntihagire ibindi mumbaza' (ne me demandez rien d'autre) et c'était tout", confirment plusieurs députés.
Voilà ce qu'a été la gestion de la question de l'envoi des militaires burundais en RDC.
Agathon Rwasa assume sa position critique et dénonce que les députés aient été tenus dans l'ignorance dans une guerre où des "enfants du pays perdent la vie".
Il n'est pas le seul. Même parmi les parlementaires du parti au pouvoir, la pilule est difficile à avaler, mais dans ce parti, la tradition c’est de ne jamais faire des vagues. Sur le terrain, certains députés sont confrontés aux questions des familles et proches des militaires tombés en RDC, ou dont on n'a aucune nouvelle. Des familles ignorent tout et aimeraient pouvoir espérer le retour ou faire le deuil des leurs.
"Nous ne savons pas quoi répondre quand des citoyens nous posent des questions et cela nous met mal à l'aise vis-à-vis des personnes qui nous ont élus", confie un député CNDD-FDD.
Il y a "une personnalisation du pouvoir, où les décisions majeures échappent aux mécanismes de délibération démocratique qui auraient dû faire l'objet de débats entre les partis politiques", dénonce un candidat de l'opposition.
Un silence institutionnel qui laisse le champ libre à toutes les spéculations
Ce silence institutionnel autour d'un sujet aussi grave que l'engagement militaire à l'étranger ne constitue pas seulement une omission regrettable, et pas seulement en période électorale. Il représente une véritable faillite politique qui laisse le champ libre à toutes les spéculations : sur les objectifs réels de la mission, sur le coût économique, sur les pertes humaines.
Les Burundais ont vu circuler sur les réseaux sociaux des photos horribles censées être celles de militaires burundais tombés en RDC. Mutisme total du côté des autorités.
À l'inverse, en janvier 2025, neuf militaires sud-africains ont perdu la vie dans l'est de la RDC. "Leur mort a été reconnue par l'Afrique du Sud qui leur a rendu un hommage officiel. Rien de tel pour nos troupes", regrette un candidat à l'élection des députés. Toujours sous anonymat.
"S'il y avait eu un vrai débat avec le parti au pouvoir, j'aurais demandé combien de nos hommes ont été tués en RDC, combien cet engagement coûte au budget de l'armée, qui est financé par les impôts des citoyens", renchérit un autre candidat aux dernières élections, ulcéré.
Certes, pour les pertes militaires, la tradition militaire consiste à limiter la circulation d'informations pour ne pas démoraliser les troupes. Mais concernant les disparus, un minimum d'honneur est généralement rendu. "En novembre 2011 à Daynile en Somalie, ou encore en mai 2022, des soldats burundais ont été tués, le gouvernement, tout en restant discret sur le nombre précis des morts, leur a rendu hommage. Rien de tel pour les disparus en RDC", rappelle un candidat député de l'opposition. Le journal Iwacu avait d'ailleurs couvert certaines de ces funérailles.
Le manque de transparence sur la durée et le coût de la mission nourrit également des soupçons de détournement des fonds. Et pas seulement au Burundi, mais aussi en RDC où récemment une vidéo d'un général congolais dénonçant la précarité de ses troupes sur le front est devenue virale. Quid des troupes burundaises ? Silence radio.
Malaise autour d'un scrutin
Quand vous discutez avec les candidats de l'opposition aux élections, tous sont critiques envers le processus. Si bien que l'on peut se demander pourquoi ils sont restés dans ce qu'ils appellent eux-mêmes, en privé, une "mascarade" – un processus où les vraies questions de l'heure ont été ignorées.
On est alors partagé entre deux sentiments : admirer leur courage de continuer une compétition qu'ils savent biaisée pour, disent-ils, "porter tant soit peu les voix oubliées et/ou ignorées", mais aussi constater que, ce faisant, ils légitiment un processus qu'ils dénoncent. "De toute façon, avec ou sans nous (l'opposition), le parti au pouvoir allait tenir les élections", semble être leur constat. Pragmatisme ou résignation ? Difficile de trancher.
Les élections africaines en question
Le sociologue ivoirien Alfred Babo a soulevé une question que beaucoup d'intellectuels africains se posent : “quel est l'intérêt d'organiser des élections auxquelles personne ne croit vraiment au fond ? Les critiques sont récurrentes : "complaintes de fraude, de tricherie et de manque de transparence et d'équité. Pourquoi organiser une élection dont le processus est de toute façon remis en cause et ne débouche que rarement sur l'alternance ?", écrit le sociologue.
L'opposition burundaise s'est-elle rendu compte que la chaise vide décidée en 2010 n'a rien changé, à part laisser un boulevard au parti présidentiel ? Alors, rester et grapiller quelques strapontins, par les temps qui courent, avec cette crise, c'est peut-être un choix pragmatique de survie pour les candidats. Mais qu'en est-il des citoyens ? Pour eux, ce pragmatisme électoral ne répond ni à leurs préoccupations quotidiennes ni aux questions essentielles qui hypothèquent leur avenir.
Au final, ce pragmatisme politique sonne creux face aux vraies préoccupations des Burundais et pourrait les amener à mettre dans le même sac pouvoir et opposition.
Le pouvoir pense peut-être à ce proverbe burundais qui dit que « uko zivugijwe niko zitambwa » ( danser selon le rythme que l'on vous donne). Il faut donc se résigner et marcher au pas. Peut-être aussi l'opposition se dit-elle de son côté que « Abarundi bagona bari maso » (les Burundais ronflent les yeux ouverts). Pour dire que personne n'est dupe…
Et vous qu’en pensez-vous?
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Je soutiens leur décision de rester dans la course malgré la mascarade. Ce que le CNDD-FDD veut, c’est occuper le terrain politique à 100%. Il s’en fout de la légitimité du processus. L’enjeu est politique mais aussi économique. Comme vous le dites si bien, en cette crise économique qui ne dit pas son nom, vaut mieux garder les rares ressources disponibles dans les griffes des « amis ».
Dans ces condition, l’opposition doit rester ne fut-ce que pour occuper le petit morceau de terrain qu’ils peuvent grignoter dans les conditions que tout le monde connait. Comme dit l’adage, la nature a horreur du vide. Quand le vent tournera (ça finira par arriver, que ça soit dans 5 ans ou dans 50 ans), on se souviendra de ces vaillants qui ont essayé d’allumer une bougie dans un océan de ténèbres.
Si tu le comprends, en avant marche. Que faut-il attendre ? Godot ne viendra pas !